En prenant la décision de lancer une consultation sur un accord salarial pluriannuel, Jean-Marc Janaillac connaissait les risques qu’il prenait mais pariait sur le « oui ».

A défaut de répondre à la question posée, les salariés d’Air France ont profité de cette consultation pour exprimer leur malaise et mécontentement. Ce vote a servi d’exutoire à des frustrations et rancœurs et à mesurer l’humeur sociale. Ce n’est pas forcément un refus de la stratégie mise en place mais une remise en question de la culture de l’entreprise et des méthodes de management qui ont conduit, entre autres, à stigmatiser certaines catégories de salariés.

Après avoir négocié un sur-intéressement (à la demande du SNPL et qui a largement profité aux salaires les plus élevés), la direction n’a pas vu venir le conflit dur qui a suivi les négociations annuelles obligatoires (NAO).
L’intersyndicale reproche à la direction de ne pas avoir prévu une enveloppe d’augmentations générales plus conséquentes au vu des bénéfices 2017.

Le montant de l’enveloppe consacrée aux augmentations de salaires n’est pas uniquement calculé par les entreprises en fonction du partage de la valeur ajoutée.

Les augmentations générales engagent sur l’avenir et augmentent durablement la masse salariale. C’est pourquoi Air France, comme beaucoup d’entreprises, a privilégié la distribution des bénéfices sous forme d’intéressement ou d’augmentations individuelles pour les personnels au sol au détriment d’augmentations générales et collectives.
Les demandes d’augmentations salariales font partie du rôle des organisations syndicales. Mais, en soufflant sur les braises de la démagogie , en jouant sur le mal être au travail ressenti par beaucoup, l’intersyndicale n’a rien fait gagner aux salariés à part une prime d’intéressement 2019 réduite à zéro et des pertes financières qu’il faudra payer un jour. Cette attitude jusqu’au boutiste se solde par un échec. Il est plus facile de commencer que d’arrêter une grève.
L’épisode du B787 cloué au sol, faute d’accord entre le principal syndicat des pilotes et la direction, est le symbole de cet énorme gâchis.

On peut se demander comment le réseau RH est passé à côté du profond malaise malgré la mise en place d’outils tels que le baromètre social. Les administrateurs salariés ont pourtant souvent alerté les membres du Conseil d’administration du groupe Air France sur ce point.

Air France restera structurellement en crise tant que nous ne sortirons pas de relations sociales organisées sous forme de rapports de force et d’affrontements systématiques. Il est impératif de trouver un équilibre entre intérêt de l’entreprise et l’intérêt de tous les salariés.
Cette crise sociale entraine une crise de gouvernance : Madame Anne Marie Couderc, nommée présidente par intérim du Groupe AF/KL, a rencontré les syndicats représentatifs et a proposé lors du CCE du 14 Juin de mettre en place des mesures urgentes et parallèlement de lancer une démarche ambitieuse d’expression collective via une plateforme digitale afin de préparer une refondation sociale.

Le Conseil d’administration d’Air France KLM ne lui a pas donné de mandat pour faire des propositions salariales unilatérales considérant que les discussions sur ce thème ne pourront pas être menées avant la nomination d’un ou d’une nouvelle dirigeante .
Cette stratégie de fermeté du Conseil d’Air France KLM n’était pas le choix de la direction d’Air France qui aurait aimé faire une proposition salariale unilatérale en deçà des demandes de l’intersyndicale. Sans aucune marge de manœuvre, Madame Couderc n’a pu qu’inciter tous les salariés à « sauver » la période estivale qui s’ouvre et à mettre de côté les revendications qui ont entraîné plus de 15 jours de grèves.

La communication de la direction sur les annonces du CCE du 14 Juin n’est malheureusement pas à la hauteur de la gravité de la situation. Elle n’a fait qu’accentuer l’exaspération des salariés au lieu de dissiper le malaise et le doute. On ne peut que conseiller à l’équipe dirigeante de se faire aider par un cabinet spécialisé en communication de crise.

Le nouveau ou la nouvelle dirigeante risque d’arriver sur un champ de mines.

Face à des salariés peu réceptifs à adhérer « aux discours raisonnables » de modération salariale, traumatisés par des grèves qui menacent l’avenir, le nouveau ou la nouvelle PDG devra réussir à débloquer les postures de fermeté et mettre fin aux surenchères suicidaires.

Pour repartir à la conquête, pour être innovateur, la paix sociale est indispensable.

Parallèlement, les résultats financiers du deuxième trimestre et du premier semestre ne lui laisseront certainement pas une grosse marge de manœuvre et le groupe perd un temps précieux que ses concurrents mettent à profit.

Trouver la personne capable de relever ces défis semble plus compliqué que prévu malgré l’annonce dans la presse de la nomination imminente de Philippe CAPRON,actuellement directeur financier du Groupe Véolia qui ne sera probablement pas validée par le conseil d’administration d’AF/KL

La question du mode de gouvernance idéal n’est pas encore réglée .Faut-il dissocier ou pas les fonctions du PDG d’AF/KL et du PDG d’Air France.

Pour Laurent Magnin, PDG d’XL Airways, invité au Paris Air Forum organisé par le journal La Tribune : « Air France est assise sur un tas d’or mais elle regarde à côté. Si Air France ne résiste pas, le transport aérien français ne résistera pas. Si Air France devait disparaître, il suffirait de 3 mois pour la remplacer ».